Filé(t) d’(h)air 


C’est là sa matière de prédilection. Intime ou sensuelle, l’auréole capillaire est siège de l’âme dans les cultures et créations dites premières… « Qu’il soit parure de deuil ou de séduction, naturel ou artificiel, lisse, tressé, ou gaufré, le cheveu est un formidable vecteur d’humanité »1. Et quand il s’agit de faire éclater les frontières, c’est à la musique que revient la paternité de sa démarche. 



Touchant d’abord au son, Alice Calm interroge l’organicité de ce matériau. On pourrait penser à François Dufrêne expérimentant ses crirythmes avec les lettristes2, ou même à la poésie bruitiste initiée par les futuristes. La voix se désaffecte pour n’être plus qu’on outil phonétique, un bruit, accédant ainsi à une nouvelle qualité plastique. Il prend la forme d’un quadrillage sur les sessions informatiques, car l’artiste brode aussi de cette toile-là. Dans ses travaux radiophoniques, elle garde les chutes et les rebus qui trouvent un agencement nouveau, une trame à l’orée d’un tout autre horizon… celui de l’enfance et des souvenirs d’école. La couture bien sûr, mais aussi les mathématiques, sans oublier la pharmacie familiale. Autant de points dans l’espace-temps, d’une ordonnance aléatoire, d’un rythme décousu, qui se rejouent aux travers de ses broderies.

Le hasard vient sublimer les erreurs et ce qu’il reste, dans l’épaisseur d’un cheveu par exemple. Les siens ou ceux des autres, car quoiqu’il arrive « c’est un matériau qu’on ne pourra pas m’enlever » explique-t-elle. C’est aussi l’occasion d’une nouvelle écriture graphique, d’un alphabet biologique où l’ADN conforte la signature. Une façon peut-être de se libérer du technologique pour revenir à la nature, et raccorder la mémoire. Mémoire temporelle, mémoire du corps et de l’esprit - le cycle de l’éternel retour - car parfois le cheveu s’emmêle et trouve un écho dans « L’origine du monde »3. La boucle est bouclée… 



Pas étonnant alors d’en venir au cycle naturel. L’artiste se cale faussement sur son rythme pour trouver « l’in-pulsion » car le sang prélevé n’est pour elle qu’un simple matériau. Aucun lien ici aux performances féministes ou à certaines oeuvres de l’actionnisme viennois qui tendent vers une forme de sacralisation. Juste l’envie pour Alice de prendre ce qui est à porter de soi, à porter de vie ; « S’éVERMEILler » en quelques sortes.

Datant ses prélèvements, l’artiste ritualise le geste. Dans une poétique du « faire comme si », elle manipule sans précaution. Effet désirable non gênant, l’accident est source de création : bulles d’air et poussières piégées sous le verre sont ses « inframinces »4, comme une porte ouverte vers une autre dimension, plus cosmique cette fois-ci. Sous l’oeil aiguisé et attentif du microscope, les règnes se mélangent. La photographie immortalise l’instant - l’extime jardin secret – enfermé dans sa boîte. 



Ne reste plus qu’à extraire son épingle du je…. Reculer de quelques cases pour déterrer ses trésors - là l’être – une vive acCALMie. 


Laëtitia Blanchon 


1 Bérénice Geoffroy-Schneiter, Arts premiers mode d’emploi, Flammarion, p.123. 

2 Ce terme a été inventé en 1952 par François Dufrêne pour qui le son était avant tout une expérience plastique du corps, qui poussait le poème à la vie. 

3 Cf. Gustave Courbet. 

4 C’est là un concept établi par Marcel Duchamp. Dans ses notes sur l'infraince, Duchamp cherche à identifier ces moments inouïs où la pure abstraction de la 4D se montrerait à nous concrètement, et en même temps de façon extrêmement fugace. Il prend l’exemple, entre autres, des buées sur surfaces polies.